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CHARTE DES DROITS FONDAMENTAUX DE L’UNION EUROPÉENNE

Convention Européenne des Droits de l'Homme - Droits Fondamentaux

CHARTE DES DROITS FONDAMENTAUX DE L’UNION EUROPÉENNE 2012/C 326/02

PRÉAMBULE

TITRE I

DIGNITÉ

TITRE II

LIBERTÉS

TITRE III

ÉGALITÉ

TITRE IV

SOLIDARITÉ

TITRE V

CITOYENNETÉ

TITRE VI

JUSTICE

TITRE VII

DISPOSITIONS GÉNÉRALES RÉGISSANT L’INTERPRÉTATION ET L’APPLICATION DE LA CHARTE

CHARTE DES DROITS FONDAMENTAUX DE L’UNION EUROPÉENNE

Le Parlement européen, le Conseil et la Commission proclament solennellement en tant que Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne le texte repris ci-après.

CHARTE DES DROITS FONDAMENTAUX DE L’UNION EUROPÉENNE

Les peuples d’Europe, en établissant entre eux une union sans cesse plus étroite, ont décidé de partager un avenir pacifique fondé sur des valeurs communes.

Consciente de son patrimoine spirituel et moral, l’Union se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d’égalité et de solidarité; elle repose sur le principe de la démocratie et le principe de l’État de droit. Elle place la personne au cœur de son action en instituant la citoyenneté de l’Union et en créant un espace de liberté, de sécurité et de justice.

L’Union contribue à la préservation et au développement de ces valeurs communes dans le respect de la diversité des cultures et des traditions des peuples d’Europe, ainsi que de l’identité nationale des États membres et de l’organisation de leurs pouvoirs publics aux niveaux national, régional et local; elle cherche à promouvoir un développement équilibré et durable et assure la libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux, ainsi que la liberté d’établissement.

À cette fin, il est nécessaire, en les rendant plus visibles dans une Charte, de renforcer la protection des droits fondamentaux à la lumière de l’évolution de la société, du progrès social et des développements scientifiques et technologiques.

La présente Charte réaffirme, dans le respect des compétences et des tâches de l’Union, ainsi que du principe de subsidiarité, les droits qui résultent notamment des traditions constitutionnelles et des obligations internationales communes aux États membres, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, des Chartes sociales adoptées par l’Union et par le Conseil de l’Europe, ainsi que de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour européenne des droits de l’Homme. Dans ce contexte, la Charte sera interprétée par les juridictions de l’Union et des États membres en prenant dûment en considération les explications établies sous l’autorité du praesidium de la Convention qui a élaboré la Charte et mises à jour sous la responsabilité du praesidium de la Convention européenne.

La jouissance de ces droits entraîne des responsabilités et des devoirs tant à l’égard d’autrui qu’à l’égard de la communauté humaine et des générations futures.

En conséquence, l’Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés ci-après.

TITRE I

DIGNITÉ

Article 1

Dignité humaine

La dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée.

Article 2

Droit à la vie

1. Toute personne a droit à la vie.

2. Nul ne peut être condamné à la peine de mort, ni exécuté.

Article 3

Droit à l’intégrité de la personne

1. Toute personne a droit à son intégrité physique et mentale.

2. Dans le cadre de la médecine et de la biologie, doivent notamment être respectés:

a)

le consentement libre et éclairé de la personne concernée, selon les modalités définies par la loi;

b)

l’interdiction des pratiques eugéniques, notamment celles qui ont pour but la sélection des personnes;

c)

l’interdiction de faire du corps humain et de ses parties, en tant que tels, une source de profit;

d)

l’interdiction du clonage reproductif des êtres humains.

Article 4

Interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants

Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants.

Article 5

Interdiction de l’esclavage et du travail forcé

1. Nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude.

2. Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire.

3. La traite des êtres humains est interdite.

TITRE II

LIBERTÉS

Article 6

Droit à la liberté et à la sûreté

Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté.

Article 7

Respect de la vie privée et familiale

Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications.

Article 8

Protection des données à caractère personnel

1. Toute personne a droit à la protection des données à caractère personnel la concernant.

2. Ces données doivent être traitées loyalement, à des fins déterminées et sur la base du consentement de la personne concernée ou en vertu d’un autre fondement légitime prévu par la loi. Toute personne a le droit d’accéder aux données collectées la concernant et d’en obtenir la rectification.

3. Le respect de ces règles est soumis au contrôle d’une autorité indépendante.

Article 9

Droit de se marier et droit de fonder une famille

Le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent l’exercice.

Article 10

Liberté de pensée, de conscience et de religion

1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2. Le droit à l’objection de conscience est reconnu selon les lois nationales qui en régissent l’exercice.

Article 11

Liberté d’expression et d’information

1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières.

2. La liberté des médias et leur pluralisme sont respectés.

Article 12

Liberté de réunion et d’association

1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association à tous les niveaux, notamment dans les domaines politique, syndical et civique, ce qui implique le droit de toute personne de fonder avec d’autres des syndicats et de s’y affilier pour la défense de ses intérêts.

2. Les partis politiques au niveau de l’Union contribuent à l’expression de la volonté politique des citoyens de l’Union.

Article 13

Liberté des arts et des sciences

Les arts et la recherche scientifique sont libres. La liberté académique est respectée.

Article 14

Droit à l’éducation

1. Toute personne a droit à l’éducation, ainsi qu’à l’accès à la formation professionnelle et continue.

2. Ce droit comporte la faculté de suivre gratuitement l’enseignement obligatoire.

3. La liberté de créer des établissements d’enseignement dans le respect des principes démocratiques, ainsi que le droit des parents d’assurer l’éducation et l’enseignement de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses, philosophiques et pédagogiques, sont respectés selon les lois nationales qui en régissent l’exercice.

Article 15

Liberté professionnelle et droit de travailler

1. Toute personne a le droit de travailler et d’exercer une profession librement choisie ou acceptée.

2. Tout citoyen de l’Union a la liberté de chercher un emploi, de travailler, de s’établir ou de fournir des services dans tout État membre.

3. Les ressortissants des pays tiers qui sont autorisés à travailler sur le territoire des États membres ont droit à des conditions de travail équivalentes à celles dont bénéficient les citoyens de l’Union.

Article 16

Liberté d’entreprise

La liberté d’entreprise est reconnue conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales.

Article 17

Droit de propriété

1. Toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L’usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général.

2. La propriété intellectuelle est protégée.

Article 18

Droit d’asile

Le droit d’asile est garanti dans le respect des règles de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés et conformément au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après dénommés «les traités»).

Article 19

Protection en cas d’éloignement, d’expulsion et d’extradition

1. Les expulsions collectives sont interdites.

2. Nul ne peut être éloigné, expulsé ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants.

TITRE III

ÉGALITÉ

Article 20

Égalité en droit

Toutes les personnes sont égales en droit.

Article 21

Non-discrimination

1. Est interdite toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle.

2. Dans le domaine d’application des traités et sans préjudice de leurs dispositions particulières, toute discrimination exercée en raison de la nationalité est interdite.

Article 22

Diversité culturelle, religieuse et linguistique

L’Union respecte la diversité culturelle, religieuse et linguistique.

Article 23

Égalité entre femmes et hommes

L’égalité entre les femmes et les hommes doit être assurée dans tous les domaines, y compris en matière d’emploi, de travail et de rémunération.

Le principe de l’égalité n’empêche pas le maintien ou l’adoption de mesures prévoyant des avantages spécifiques en faveur du sexe sous-représenté.

Article 24

Droits de l’enfant

1. Les enfants ont droit à la protection et aux soins nécessaires à leur bien-être. Ils peuvent exprimer leur opinion librement. Celle-ci est prise en considération pour les sujets qui les concernent, en fonction de leur âge et de leur maturité.

2. Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.

3. Tout enfant a le droit d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à son intérêt.

Article 25

Droits des personnes âgées

L’Union reconnaît et respecte le droit des personnes âgées à mener une vie digne et indépendante et à participer à la vie sociale et culturelle.

Article 26

Intégration des personnes handicapées

L’Union reconnaît et respecte le droit des personnes handicapées à bénéficier de mesures visant à assurer leur autonomie, leur intégration sociale et professionnelle et leur participation à la vie de la communauté.

TITRE IV

SOLIDARITÉ

Article 27

Droit à l’information et à la consultation des travailleurs au sein de l’entreprise

Les travailleurs ou leurs représentants doivent se voir garantir, aux niveaux appropriés, une information et une consultation en temps utile, dans les cas et conditions prévus par le droit de l’Union et les législations et pratiques nationales.

Article 28

Droit de négociation et d’actions collectives

Les travailleurs et les employeurs, ou leurs organisations respectives, ont, conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales, le droit de négocier et de conclure des conventions collectives aux niveaux appropriés et de recourir, en cas de conflits d’intérêts, à des actions collectives pour la défense de leurs intérêts, y compris la grève.

Article 29

Droit d’accès aux services de placement

Toute personne a le droit d’accéder à un service gratuit de placement.

Article 30

Protection en cas de licenciement injustifié

Tout travailleur a droit à une protection contre tout licenciement injustifié, conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales.

Article 31

Conditions de travail justes et équitables

1. Tout travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité.

2. Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés.

Article 32

Interdiction du travail des enfants et protection des jeunes au travail

Le travail des enfants est interdit. L’âge minimal d’admission au travail ne peut être inférieur à l’âge auquel cesse la période de scolarité obligatoire, sans préjudice des règles plus favorables aux jeunes et sauf dérogations limitées.

Les jeunes admis au travail doivent bénéficier de conditions de travail adaptées à leur âge et être protégés contre l’exploitation économique ou contre tout travail susceptible de nuire à leur sécurité, à leur santé, à leur développement physique, mental, moral ou social ou de compromettre leur éducation.

Article 33

Vie familiale et vie professionnelle

1. La protection de la famille est assurée sur le plan juridique, économique et social.

2. Afin de pouvoir concilier vie familiale et vie professionnelle, toute personne a le droit d’être protégée contre tout licenciement pour un motif lié à la maternité, ainsi que le droit à un congé de maternité payé et à un congé parental à la suite de la naissance ou de l’adoption d’un enfant.

Article 34

Sécurité sociale et aide sociale

1. L’Union reconnaît et respecte le droit d’accès aux prestations de sécurité sociale et aux services sociaux assurant une protection dans des cas tels que la maternité, la maladie, les accidents du travail, la dépendance ou la vieillesse, ainsi qu’en cas de perte d’emploi, selon les règles établies par le droit de l’Union et les législations et pratiques nationales.

2. Toute personne qui réside et se déplace légalement à l’intérieur de l’Union a droit aux prestations de sécurité sociale et aux avantages sociaux, conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales.

3. Afin de lutter contre l’exclusion sociale et la pauvreté, l’Union reconnaît et respecte le droit à une aide sociale et à une aide au logement destinées à assurer une existence digne à tous ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, selon les règles établies par le droit de l’Union et les législations et pratiques nationales.

Article 35

Protection de la santé

Toute personne a le droit d’accéder à la prévention en matière de santé et de bénéficier de soins médicaux dans les conditions établies par les législations et pratiques nationales. Un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l’Union.

Article 36

Accès aux services d’intérêt économique général

L’Union reconnaît et respecte l’accès aux services d’intérêt économique général tel qu’il est prévu par les législations et pratiques nationales, conformément aux traités, afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l’Union.

Article 37

Protection de l’environnement

Un niveau élevé de protection de l’environnement et l’amélioration de sa qualité doivent être intégrés dans les politiques de l’Union et assurés conformément au principe du développement durable.

Article 38

Protection des consommateurs

Un niveau élevé de protection des consommateurs est assuré dans les politiques de l’Union.

TITRE V

CITOYENNETÉ

Article 39

Droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen

1. Tout citoyen de l’Union a le droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen dans l’État membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État.

2. Les membres du Parlement européen sont élus au suffrage universel direct, libre et secret.

Article 40

Droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales

Tout citoyen de l’Union a le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales dans l’État membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État.

Article 41

Droit à une bonne administration

1. Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l’Union.

2. Ce droit comporte notamment:

a)

le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre;

b)

le droit d’accès de toute personne au dossier qui la concerne, dans le respect des intérêts légitimes de la confidentialité et du secret professionnel et des affaires;

c)

l’obligation pour l’administration de motiver ses décisions.

3. Toute personne a droit à la réparation par l’Union des dommages causés par les institutions, ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres.

4. Toute personne peut s’adresser aux institutions de l’Union dans une des langues des traités et doit recevoir une réponse dans la même langue.

Article 42

Droit d’accès aux documents

Tout citoyen de l’Union ainsi que toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège statutaire dans un État membre a un droit d’accès aux documents des institutions, organes et organismes de l’Union, quel que soit leur support.

Article 43

Médiateur européen

Tout citoyen de l’Union ainsi que toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège statutaire dans un État membre a le droit de saisir le médiateur européen de cas de mauvaise administration dans l’action des institutions, organes ou organismes de l’Union, à l’exclusion de la Cour de justice de l’Union européenne dans l’exercice de ses fonctions juridictionnelles.

Article 44

Droit de pétition

Tout citoyen de l’Union ainsi que toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège statutaire dans un État membre a le droit de pétition devant le Parlement européen.

Article 45

Liberté de circulation et de séjour

1. Tout citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres.

2. La liberté de circulation et de séjour peut être accordée, conformément aux traités, aux ressortissants de pays tiers résidant légalement sur le territoire d’un État membre.

Article 46

Protection diplomatique et consulaire

Tout citoyen de l’Union bénéficie, sur le territoire d’un pays tiers où l’État membre dont il est ressortissant n’est pas représenté, de la protection des autorités diplomatiques et consulaires de tout État membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État.

TITRE VI

JUSTICE

Article 47

Droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial

Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article.

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter.

Une aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait nécessaire pour assurer l’effectivité de l’accès à la justice.

Article 48

Présomption d’innocence et droits de la défense

1. Tout accusé est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

2. Le respect des droits de la défense est garanti à tout accusé.

Article 49

Principes de légalité et de proportionnalité des délits et des peines

1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou le droit international. De même, il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. Si, postérieurement à cette infraction, la loi prévoit une peine plus légère, celle-ci doit être appliquée.

2. Le présent article ne porte pas atteinte au jugement et à la punition d’une personne coupable d’une action ou d’une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d’après les principes généraux reconnus par l’ensemble des nations.

3. L’intensité des peines ne doit pas être disproportionnée par rapport à l’infraction.

Article 50

Droit à ne pas être jugé ou puni pénalement deux fois pour une même infraction

Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi.

TITRE VII

DISPOSITIONS GÉNÉRALES RÉGISSANT L’INTERPRÉTATION ET L’APPLICATION DE LA CHARTE

Article 51

Champ d’application

1. Les dispositions de la présente Charte s’adressent aux institutions, organes et organismes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu’aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l’application, conformément à leurs compétences respectives et dans le respect des limites des compétences de l’Union telles qu’elles lui sont conférées dans les traités.

2. La présente Charte n’étend pas le champ d’application du droit de l’Union au-delà des compétences de l’Union, ni ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelles pour l’Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies dans les traités.

Article 52

Portée et interprétation des droits et des principes

1. Toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui.

2. Les droits reconnus par la présente Charte qui font l’objet de dispositions dans les traités s’exercent dans les conditions et limites définies par ceux-ci.

3. Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue.

4. Dans la mesure où la présente Charte reconnaît des droits fondamentaux tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, ces droits doivent être interprétés en harmonie avec lesdites traditions.

5. Les dispositions de la présente Charte qui contiennent des principes peuvent être mises en œuvre par des actes législatifs et exécutifs pris par les institutions, organes et organismes de l’Union, et par des actes des États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, dans l’exercice de leurs compétences respectives. Leur invocation devant le juge n’est admise que pour l’interprétation et le contrôle de la légalité de tels actes.

6. Les législations et pratiques nationales doivent être pleinement prises en compte comme précisé dans la présente Charte.

7. Les explications élaborées en vue de guider l’interprétation de la présente Charte sont dûment prises en considération par les juridictions de l’Union et des États membres.

Article 53

Niveau de protection

Aucune disposition de la présente Charte ne doit être interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l’homme et libertés fondamentales reconnus, dans leur champ d’application respectif, par le droit de l’Union, le droit international et les conventions internationales auxquelles sont parties l’Union, ou tous les États membres, et notamment la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ainsi que par les constitutions des États membres.

Article 54

Interdiction de l’abus de droit

Aucune des dispositions de la présente Charte ne doit être interprétée comme impliquant un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Charte ou à des limitations plus amples des droits et libertés que celles qui sont prévues par la présente Charte.

°

°°

Le texte ci-dessus reprend, en l’adaptant, la Charte proclamée le 7 décembre 2000 et la remplacera à compter du jour de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne.

Position du Conseil d’Etat sur cette Chartre :

20 novembre 2014

La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne: mode d’emploi

Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d’État
Intervention lors du Colloque organisé par l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation et par la Société de législation comparée

Colloque organisé par l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation et par la Société de législation comparée

Première table ronde : la Charte, son champ d’application

Conseil d’État, jeudi 20 novembre 2014

Intervention de Jean-Marc Sauvé [1], vice-président du Conseil d’État

 

Monsieur le président de la Cour de justice de l’Union européenne,

Madame le professeur,

Chers collègues,

Grâce à la Charte des droits fondamentaux, incorporée dans le droit primaire de l’Union européenne et juridiquement opposable le 1er décembre 2009, l’Union est entrée « dans la noble cohorte des ensembles institutionnels dotés d’une charte de droits »[2]. Comme le relevait ainsi le président Guy Braibant, l’un de ses auteurs, la Charte contribue à l’affermissement au sein de l’Union d’un système commun de protection des droits fondamentaux, alors que se sont densifiées et diversifiées les compétences dévolues par les États membres aux institutions européennes. La Charte apparaît ainsi comme l’aboutissement d’un processus d’intégration des droits à l’échelle de l’Europe : elle fait fond sur ceux déjà consacrés ; elle en clarifie le catalogue ; elle en augmente aussi le nombre. Mais ce faisant, la Charte n’a pas entendu opérer de nouveaux transferts de compétence : tel est l’apparent paradoxe d’un texte qui, sans créer de nouvelles compétences matérielles au bénéfice de l’Union, augmente pourtant les droits des citoyens et les obligations corrélatives à la charge des institutions européennes et des États membres.

La définition du champ d’application de la Charte est, dès lors, conditionnée par cette histoire et ce paradoxe et elle commande le règlement des difficultés que peut soulever l’application concrète de ce texte et qui sont indissociables d’une réflexion d’ensemble sur l’articulation de la Charte avec les autres standards nationaux et internationaux de la garantie des droits. Je remercie les organisateurs de ce colloque, l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation et la Société de législation comparée, d’avoir pris l’initiative d’une telle réflexion globale. Sont réunies autour de cette première table ronde des personnalités éminentes, M. Vassilios Skouris, président de la Cour de justice de l’Union européenne, et Mme Pascale Deumier, professeure à l’Université de Lyon 3. Avant de leur laisser la parole, je souhaiterais revenir sur l’interprétation extensive du champ d’application de la Charte, qui a été retenue par la Cour de justice, avant de préciser les enjeux et les conséquences qu’une telle interprétation fait naître.

I. Le champ d’application de la Charte, défini à son article 51, a été interprété d’une manière extensive, afin de garantir, dans le champ d’application du droit de l’Union européenne, l’unité et la primauté du système européen de protection des droits fondamentaux.

A. Les « dispositions générales » de la Charte et, plus précisément, le premier alinéa de son article 51 définissent, selon un double critère organique et matériel,les conditions d’application de la Charte (2). Avant d’examiner ces deux critères, le cadre général d’interprétation de la Charte peut être retracé (1).

1. Le paragraphe 2 de l’article 51 dispose en effet que la Charte « ne crée aucune compétence, ni aucune tâche nouvelles pour la Communauté et pour l’Union, et ne modifie pas les compétences et les tâches définies par les traités. » Le second alinéa du paragraphe 1 de l’article 6 du Traité sur l’Union européenne réitère ce cadre général d’application et d’interprétation : « Les dispositions de la Charte n’étendent en aucune manière les compétences de l’Union telles que définies dans les traités ». En effet, si la Charte appartient pleinement au droit primaire de l’Union, elle ne prend pas position sur le champ des compétences matérielles attribuées à l’Union, et règle seulement la manière dont celles-ci doivent être exercées. Dès lors, son champ d’application ne saurait excéder le domaine régi par le droit de l’Union européenne, tel qu’il a été fixé par les autres traités de droit primaire. Comme elle l’a elle-même rappelé, « la Cour [de justice de l’Union européenne] est appelée à interpréter, à la lumière de la Charte, le droit de l’Union dans les limites des compétences attribuées à celle-ci »[3] et « lorsqu’une situation juridique ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union, la Cour [ne se reconnaît pas] compétente pour en connaître »[4].

Il en résulte que les droits garantis par la Charte ne s’appliquent à une situation que par le soutien d’une disposition-tutrice relevant d’un autre pan du droit de l’Union européenne. Le raisonnement que commande l’article 51 se décompose en deux temps : il s’agit d’abord de déterminer si le droit invoqué par le requérant appartient ou non au catalogue des droits directement invocables de la Charte, puis de vérifier si la situation litigieuse est régie, directement ou indirectement, par une disposition du droit de l’Union autre que celles de la Charte. Comme l’a souligné nettement la Cour, « les dispositions éventuellement invoquées de la Charte ne sauraient, à elles seules, fonder [sa] compétence »[5]. Ce double degré d’opérance d’un moyen tiré la méconnaissance de la Charte est cependant d’un maniement parfois délicat.

2. Le paragraphe 1 de l’article 51 pose en effet un double critère, organique et matériel, pour déterminer l’applicabilité de la Charte. Cette dernière s’adresse en effet tant « aux institutions, organes et organismes de l’Union » qu’aux États membres et à leurs autorités nationales et locales. Dans le premier cas, le critère organique se suffit à lui-même : la Charte s’adresse aux organes de l’Union dans le champ des compétences qui leur sont attribuées « dans le respect du principe de subsidiarité ». Dans le second cas, le critère organique est nécessaire, mais non suffisant : la Charte s’adresse aux États membres « uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union ». Cette formulation, comme l’indiquent les explications de la Convention chargée de l’élaboration de la Charte, a été empruntée à la jurisprudence de la Cour de Justice relative au champ d’application des principes généraux du droit de l’Union, notamment à un arrêt du 13 avril 2000, Karlsson[6] : « les exigences découlant de la protection des droits fondamentaux dans l’ordre juridique communautaire lient (…) les États membres lorsqu’ils mettent en œuvre des réglementations communautaires ». Une telle formulation a été préférée, non sans hésitation comme en a témoigné le président Guy Braibant[7], à d’autres en apparence plus larges, comme celles-ci « dans le cadre du droit communautaire »[8] ou « dans le champ d’application du droit communautaire »[9].

Le paragraphe 1 de l’article 51 vise, en premier lieu, les situations régies par des actes de droit interne, précisant les conditions d’application directe d’un règlement ou transposant les dispositions d’une directive de l’Union. Dans ce dernier cas, la seule circonstance que les États membres disposent d’une marge d’appréciation, plus ou moins étendue, pour procéder à la transposition d’une directive européenne, ne permet pas d’écarter l’application de la Charte. C’est ce qu’a rappelé le Conseil d’État[10], lorsqu’a été invoquée devant lui la méconnaissance de l’article 41 de la Charte par la loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, adoptée pour la transposition de la directive dite « retour »[11].

En deuxième lieu, l’article 51, tel qu’interprété par la Cour de justice, vise les situations régies par des actes de droit interne qui, sans transposer une directive de l’Union, entrent dans son champ d’application. Ainsi, par exemple, une réglementation nationale relative au calcul du préavis de licenciement doit être tenue pour un acte de mise en œuvre du droit de l’Union, dès l’expiration du délai de transposition de la directive 2000/78[12] qui régit les conditions de licenciement, alors même que celle-ci n’avait pas été transposée par l’État en cause à la date à laquelle a statué la Cour[13]. L’applicabilité de la Charte dépend ainsi d’une analyse non finaliste de la portée des actes de droit interne : qu’ils visent ou non la transposition d’une directive ou l’application d’un règlement, qu’ils y procèdent correctement ou imparfaitement, la seule circonstance qu’ils interviennent dans le champ couvert par le droit de l’Union suffit à ce que la Charte leur soit applicable.

En troisième lieu, l’article 51, tel qu’interprété par la Cour, vise les situations régies par un acte de droit interne par lequel un État membre décide de déroger au droit de l’Union. Ainsi, lorsqu’un État traite une demande d’asile, alors qu’il n’est pas l’ « État responsable » de son examen au sens du paragraphe 1 de l’article 3 du règlement « Dublin II »[14], il déroge aux règles du système européen commun de l’asile prévoyant un mécanisme de transfert. Mais il doit être considéré comme mettant en œuvre le droit de l’Union[15], dès lors que cette dérogation et le pouvoir d’appréciation dont disposent les États membres pour l’utiliser sont régis par ce règlement. Ainsi entendu, le champ d’application de la Charte couvre le domaine que le droit matériel de l’Union régit, mais aussi celui qu’il entend ne pas régir[16], quel que soit le degré d’autonomie procédurale qui est reconnu aux États membres.

B. Cette conception fonctionnelle du champ d’application de la Charte a été pleinement consacrée et même étendue par l’arrêt du 26 février 2013, Akerberg Fransson. Si le droit invoqué de n’être pas puni pénalement deux fois pour des mêmes faits, dit principe non bis in idem, est protégé par l’article 50 de la Charte, la question s’est posée de savoir si les sanctions infligées devaient être considérées comme une « mise en œuvre du droit de l’Union » au sens de l’article 51, avant même de se prononcer sur leur caractère effectivement pénal. La question était d’autant plus délicate que la législation pénale en cause – la Skattebrottslagen – ne visait pas à sanctionner exclusivement une méconnaissance des obligations déclaratives en matière de TVA. Comme l’a relevé l’avocat général P. Cruz Villalón dans ses conclusions, cette législation existe en droit suédois « tout à fait indépendamment de la perception de la TVA », de sorte que « la présente affaire de sanction (…) apparaît comme une simple occasio »[17], c’est-à-dire un cas d’application contingente de cette législation. Selon son avis, « il serait disproportionné de tirer de cette occasio une raison de modifier la répartition de la responsabilité de garantir les droits fondamentaux entre l’Union et les États. (…) En définitive, il semble risqué d’affirmer (…) que le législateur [européen] avait anticipé un transfert des États vers l’Union de toutes les garanties constitutionnelles entourant l’exercice du pouvoir de sanction des États en matière de perception de la TVA »[18].

Cohérente avec sa jurisprudence antérieure, la Cour n’a pas suivi ce raisonnement[19]. Selon la Cour, le fait que les réglementations nationales qui servent de fondement aux sanctions fiscales et aux poursuites pénales litigieuses n’aient pas été adoptées pour transposer la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA[20] ne saurait être de nature à remettre en cause l’application de la Charte. En effet, ces pénalités « tend[ent] à sanctionner une violation (…) de ladite directive et vise[nt] donc à mettre en œuvre l’obligation imposée par le traité aux États membres de sanctionner de manière effective les comportements attentatoires aux intérêts financiers de l’Union »[21]. Poussant jusqu’à son terme son analyse fonctionnelle ou non finaliste, la Cour explicite un mode d’emploi général : « les droits fondamentaux garantis par la Charte [doivent] (…) être respectés lorsqu’une réglementation nationale entre dans le champ d’application du droit de l’Union »[22]. Cette formulation plus large permet, d’une part, d’harmoniser le champ d’application de la Charte avec celui des principes généraux du droit, sous certaines réserves cependant[23], et, d’autre part, de ne pas moduler le degré de protection des droits fondamentaux selon le degré d’autonomie reconnu aux États membres. Comme l’a relevé la doctrine en France, « Considérer (…) l’article 51 § 1er de la Charte comme une invitation à reconsidérer de manière générale l’applicabilité des droits fondamentaux de l’Union à l’action des États membres eût conduit à ce que le jour où l’Union s’est dotée d’une déclaration des droits, elle signât paradoxalement un recul de leur protection »[24].

Au terme de cette évolution jurisprudentielle, le champ d’application de la Charte s’est simplifié en s’étendant. Il se résume désormais en cette phrase : « L’applicabilité du droit de l’Union implique celle des droits fondamentaux garantis par la Charte »[25]. Pour autant, cette formule simple et claire ne saurait dissimuler les difficultés nouvelles que soulève son application concurrente avec d’autres instruments de protection des droits fondamentaux.

II. L’interprétation extensive du champ d’application de la Charte est appelée à garantir une meilleure protection des droits fondamentaux en Europe, dans le respect des principes de primauté et d’effectivité du droit de l’Union, mais aussi des autres systèmes internationaux et des traditions nationales, surtout lorsqu’elles revêtent une valeur constitutionnelle.

A. La première condition d’une réception fructueuse de la Charte tient dans la poursuite d’un dialogue confiant et soutenu entre juridictions nationales et européennes, et dans le refus d’une posture de défiance à l’égard de la Cour de justice et, d’une manière générale, à l’encontre de l’unité et de la primauté du droit de l’Union européenne.

La Charte, comme en avaient conscience ses rédacteurs, témoigne en effet d’une « transformation de l’essence même de l’Europe »[26], même si elle ne crée pas de nouvelles compétences : d’un ensemble de communautés économiques, elle est devenue une union aux compétences élargies, au sein de laquelle sont partagées les mêmes valeurs et garantis des standards communs de protection des droits fondamentaux. Cette transformation requiert à l’évidence une homogénéisation, même minimale, d’un socle de droits à l’échelle continentale, socle à préserver de forces potentiellement centrifuges. Dans le domaine des droits fondamentaux, tels que ceux protégés par la Charte, des clauses d’ « opt out » n’ont en principe pas lieu d’être. Comme l’a jugé la Cour de justice[27], le protocole n°30 annexé au traité de Lisbonne n’a pas pour objet d’exonérer la République de Pologne, ni le Royaume-Uni, de l’obligation de respecter les dispositions de la Charte, ni d’empêcher les juridictions nationales de veiller à leur respect. Cette interprétation est aussi celle de l’England and Wales High Court of Justice dans sa décision[28]A.B. v. Secretary of State for the Home Department du 7 novembre 2013, même si des réticences politiques ont pu se manifester au sujet de cette convergence[29].

Une telle convergence sur le principe même de l’application de la Charte ne saurait naturellement suffire. Elle doit aussi être recherchée dans la définition du degré d’amplitude reconnu à son application, qui ne peut être que large. L’interprétation fonctionnelle de la notion de « mise en œuvre du droit de l’Union », au sens de l’article 51, ne saurait conduire, comme l’imposent les traités et comme le relève la Cour de justice, à un élargissement des compétences de l’Union subreptice, non concerté et non consenti par les États membres. La Cour constitutionnelle fédérale allemande a souligné avec force l’existence de ce risque : dans son arrêt du 24 avril 2013 Antiterrordatei[30], le Bundesverfassungsgericht écarte toute interprétation de l’arrêt Akerberg Fransson qui « conduirait à ce que celle-ci doive être considérée manifestement comme un acte ultra vires ou à ce qu’elle porte atteinte à la protection et au respect des droits fondamentaux garantis par un État membre ». Et la Cour allemande d’ajouter : « la décision en question ne saurait être interprétée ou appliquée dans un sens qui conduirait à ce que tout rapport matériel d’une réglementation avec le champ d’application abstrait de l’Union (…) suffiraient pour que les États membres se trouvent liés par [la Charte] ». Comme l’a relevé la doctrine, la Cour allemande a sans doute voulu par cette décision « tracer des ‘lignes rouges’ »[31] et se prémunir contre tout risque de déconstruction des garanties nationales par une atteinte au principe de subsidiarité[32]. Ces craintes doivent naturellement être entendues, mais rien dans la jurisprudence de la Cour de justice ne laisse penser que ce type de risque ou de dérive soit en cours de réalisation ou soit même envisageable. Dans sa décision Akerberg Fransson, la Cour de justice a rappelé avec force que « lorsqu’une situation juridique ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union, la Cour n’est pas compétente pour en connaître »[33]. Dans le respect des traités, la décision Akerberg Fransson réalise un double gain de simplicité et de cohérence : simplicité d’un critère qui fait se superposer le champ d’application du droit de l’Union et le champ d’application de la Charte ; cohérence d’un critère qui fait coïncider[34] le champ d’application des principes généraux du droit de l’Union avec les droits consacrés par la Charte, les seconds étant en grande partie une reprise des premiers.

B. Les prochaines années seront l’occasion se préciser au cas par cas les conséquences de cette interprétation fonctionnelle de la notion de « mise en œuvre du droit de l’Union ». La décision Akerberg Franssona en effet engagé un processus complexe de ré-articulation des systèmes nationaux et européens de protection des droits fondamentaux. En s’étendant, le champ d’application de la Charte vient rencontrer le domaine de la convention européenne des droits de l’Homme mais aussi celui des protections nationales, en particulier constitutionnelles. Je n’insisterai pas sur ces points qui feront l’objet de la deuxième table ronde de ce colloque. Dans le premier cas, la Charte prévoit elle-même un mode d’emploi en son article 52 paragraphe 3. Je me bornerai à relever que, par sa décision Akerberg Fransson, la Cour de justice a développé une conception « autonome », pour reprendre le terme du président Skouris[35], d’un principe consacré à la fois par la Charte et la Convention européenne des droits de l’Homme. S’agissant des cas de chevauchement des domaines de la Charte et des constitutions nationales, la décision Melloni a posé les jalons d’une co-application de ces droits : rien n’interdit l’application de standards nationaux, dès lors, d’une part, que ceux-ci ne compromettent pas le niveau de protection offert par la Charte, telle qu’interprétée par la Cour de justice, et, d’autre part, qu’ils ne portent pas atteinte aux principes de primauté, d’unité et d’effectivité du droit de l’Union[36]. Cette situation de co-application, que l’arrêt Akerberg Fransson a rendu possible, est naturellement complexe et délicate, dès lors que toutes les dispositions de la Charte n’ont pas en droit interne valeur constitutionnelle et que, même dans ce cas, les marges de manœuvre des États ne sont pas toujours aisées à déterminer[37]. Sans doute devront-elles être fixées de telle sorte que les garanties européennes puissent, selon le cas, prévaloir sur les garanties nationales ou s’appliquer de manière cumulative avec elles, sans provoquer de choc inutile avec les identités constitutionnelles nationales ou déclencher un contrôle national de type « Solange » pouvant théoriquement conduire au rejet des garanties européennes au nom des garanties nationales.

Vous le voyez, si le champ d’application de la Charte est désormais clarifié, les questions que soulève sa définition extensive appellent encore des précisions. Il ne fait toutefois pas de doute que, dans leur application de la Charte, les juridictions nationales s’appuieront sur les lignes jurisprudentielles tracées par la Cour de justice dans le respect des compétences qui lui sont dévolues par les traités et dans un esprit de coopération loyale.

 

[1]Texte écrit en collaboration avec Stéphane Eustache, conseiller de tribunal administratif et de cour administrative d’appel, chargé de mission auprès du vice-président du Conseil d’État.

[2]Guy Braibant, La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, témoignage et commentaires de Guy Braibant, éd. Le Seuil, coll. Point Essai, 2001, p. 17.

[3]Voir, not. CJUE 15 novembre 2011, Murat Dereci et autres, C-256/11, § 71.

[4] CJUE 26 février 2013, Akerberg Fransson, C-617/10, § 22.

[5] CJUE 26 février 2013, Akerberg Fransson, C-617/10, § 22 ; voir, pour une application par le Conseil d’État : CE 4 juillet 2012, Confédération française pour la promotion sociale des aveugles et des amblyopes, n°341533, §5.

[6] CJCE 13 avril 2000, Kjell Karlsson, C-292/97, §37.

[7] Guy Braibant, La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, témoignage et commentaires de Guy Braibant, éd. Le Seuil, coll. Point Essai, 2001, p. 251.

[8]CJCE 13 juillet 1989, Hubert Wachauf, C-5/88, §17 ; nb : le même arrêt utilise aussi la formulation de l’arrêt Karlsson : « Ces exigences [à savoir la protection des droits fondamentaux dans l’ordre juridique communautaire] liant également les États membres lorsqu’ils mettent en œuvre des réglementations communautaires, il s’ensuit que ceux-ci sont tenus, dans toute la mesure du possible, d’appliquer ces réglementations dans des conditions qui ne méconnaissent pas lesdites exigences », § 19.

[9] CJCE 18 juin 1991, Elliniki Radiophonia Tileorassi Anonimi Etairia ( ERT AE), C-260/89, §42.

[10]CE 4 juin 2014, M. Halifa, n°370515, §4-5.

[11]Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

[12]Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail.

[13] CJUE 19 janvier 2010, Seda Kücükdeveci, C-555/07, § 24-25.

[14]glement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers.

[15] CJUE 21 décembre 2011, N.S., C-411/10 § 64 à 68.

[16] Voir, sur ce point, K. Lenaerts, « The EU Charter of fundamental rights : scope of application and methods of interprÉtation », in De Rome à Lisbonne, les juridictions de l’Union européenne à la croisée des chemins, Mélanges en l’honneur de P. Mengozzi, p. 112 : « It follows from N.S., that as long as a Member State enjoys a discretionary power the exercise of which must comply with other provisions of EU law, that Member State is « implementing EU law ». Accordingly, the exercise of that power must be compatible with the Charter ».

[17]Conclusion de l’avocat général P. Cruz Villalón, § 61-62.

[18] Conclusion de l’avocat général P. Cruz Villalón, § 63.

[19] Les Gouvernements suédois, tchèque, danois, irlandais et néerlandais, mais aussi la Commission européenne estimaient que les questions préjudicielles posées à la Cour de justice étaient irrecevables, dès lors que ni les sanctions fiscales, ni les sanctions pénales litigieuses ne mettaient en œuvre le droit de l’Union européenne. Voir §16 de l’arrêt.

[20] Directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée.

[21]CJUE 26 février 2013, Akerberg Fransson, C-617/10, § 28.

[22] CJUE 26 février 2013, Akerberg Fransson, C-617/10, § 21.

[23] Comme l’a jugé la Cour de justice de l’Union européenne, le champ d’application de l’art. 41 de la Charte, intitulé « Droit à une bonne administration », est autonome et plus restreint que celui des autres articles de la Charte : « Ainsi que la Cour l’a rappelé au point 67 de l’arrêt YS e.a. (C‑141/12 et C‑372/12, EU:C:2014:2081), il résulte clairement du libellé de l’article 41 de la Charte que celui-ci s’adresse non pas aux États membres, mais uniquement aux institutions, aux organes et aux organismes de l’Union (voir, en ce sens, arrêt Cicala, C‑482/10, EU:C:2011:868, point 28). Partant, le demandeur d’un titre de séjour ne saurait tirer de l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte un droit d’être entendu dans toute procédure relative à sa demande. ». Il en résulte que le champ d’application de l’art. 41 ne coïncide pas intégralement avec celui des principes généraux du droit de l’Union européenne : en l’espèce, le droit d’être entendu n’a pu être invoqué par le requérant qu’en tant que « partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l’Union », voir : CJUE 5 novembre 2014, Sophie Mukarubega, C-166/13, § 44-45 (réponse à une question préjudicielle introduite par le tribunal administratif de Melun par une décision du 8 mars 2013) ; voir également, les conclusions contraires de l’avocat général M. Wathelet sur cette affaire, § 56 : « « Il ne me paraîtrait pas cohérent ni conforme à la jurisprudence de la Cour que le libellé de l’article 41 de la Charte puisse ainsi introduire une exception à la règle prescrite par l’article 51 de celle-ci, qui permettrait aux États membres de ne pas appliquer un article de la Charte, même lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. Aussi, je marque ma nette préférence pour l’applicabilité de l’article 41 de la Charte aux États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, mais de toute façon, comme le relève le gouvernement français, le droit d’être entendu constitue, conformément à une jurisprudence constante, un principe général du droit de l’Union qui «relève non seulement du droit à une bonne administration, consacré à l’article 41 de la Charte, mais aussi du respect des droits de la défense et du droit à un procès équitable garantis aux articles 47 et 48 de la Charte». Le respect de ce droit s’impose donc à ce titre au moins aux autorités «de chacun des États membres lorsqu’elles adoptent des décisions entrant dans le champ d’application du droit de l’Union». ».

[24] D. Ritleng, « De l’articulation des systèmes de protection des droits fondamentaux dans l’Union, les enseignements des arrêts Akerberg Fransson et Melloni », RTD Eur., 2013, p. 267.

[25]CJUE 26 février 2013, Akerberg Fransson, C-617/10, § 21.

[26] Guy Braibant, La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, témoignage et commentaires de Guy Braibant, éd. Le Seuil, coll. Point Essai, 2001, p. 17.

[27]CJUE 21 décembre 2011, N.S., C-411/10, § 120.

[28] [2013] EWHC 3453 (Admin), case no : CO/11191/2010 : comme le souligne le juge Mostyn, “The Human Rights Act 1998 incorporated into our domestic law large parts, but by no means all, of the European Convention on Human Rights. Some parts were deliberately missed out by Parliament. The Charter of Fundamental Rights of the European Union contains, I believe, all of those missing parts and a great deal more. Notwithstanding the endeavours of our political representatives at Lisbon it would seem that the much wider Charter of Rights is now part of our domestic law. Moreover, that much wider Charter of Rights would remain part of our domestic law even if the Human Rights Act were repealed”, § 14.

[29] R. Clayton QC et C.C. Murphy, “The emergence of the EU Charter of Fundamental Rights in UK law », European Human Rights Law Review, 2014. Voir, sur ce point, le rapport de la Commission de contrôle des affaires européennes de la Chambre des Communes du Royaume-Uni, intitué « The Application of the EU Charter of Fundamental Rights in the UK : A State of Confusion ».

[30]BVerfGE 1 BVR 1215/07, § 91 : Der Europäische Gerichtshof ist danach für die aufgeworfenen – ausschließlich die deutschen Grundrechte betreffenden – Fragen nicht gesetzlicher Richter im Sinne des Art. 101 Abs. 1 GG. Nichts anderes kann sich aus der Entscheidung des EuGH in der Rechtssache Åkerberg Fransson (EuGH, Urteil vom 26. Februar 2013, C-617/10) ergeben. Im Sinne eines kooperativen Miteinanders zwischen dem Bundesverfassungsgericht und dem Europäischen Gerichtshof (vgl. BVerfGE 126, 286 <307>) darf dieser Entscheidung keine Lesart unterlegt werden, nach der diese offensichtlich als Ultra-vires-Akt zu beurteilen wäre oder Schutz und Durchsetzung der mitgliedstaatlichen Grundrechte in einer Weise gefährdete (Art. 23 Abs. 1 Satz 1 GG), dass dies die Identität der durch das Grundgesetz errichteten Verfassungsordnung in Frage stellte (vgl. BVerfGE 89, 155 <188>; 123, 267 <353 f.>; 125, 260 <324>; 126, 286 <302 ff.>; 129, 78 <100>). Insofern darf die Entscheidung nicht in einer Weise verstanden und angewendet werden, nach der für eine Bindung der Mitgliedstaaten durch die in der Grundrechtecharta niedergelegten Grundrechte der Europäischen Union jeder sachliche Bezug einer Regelung zum bloß abstrakten Anwendungsbereich des Unionsrecht oder rein tatsächliche Auswirkungen auf dieses ausreiche. Vielmehr führt der Europäische Gerichtshof auch in dieser Entscheidung ausdrücklich aus, dass die Europäischen Grundrechte der Charta nur in „unionsrechtlich geregelten Fallgestaltungen, aber nicht außerhalb derselben Anwendung finden“ (EuGH, Urteil vom 26. Februar 2013, C-617/10, Rn. 19).

[31] O. Joop, « La Cour constitutionnelle fédérale allemande raisonne sur la question préjudicielle et encadre la portée de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne », RTD Eur., 2014, p. 228.

[32]C. Safferling, Der EuGH, die Grundrechtecharta und nationales Recht : Die Fälle Åkerberg Fransson et Melloni », Neue Zeitschift für Strafrecht, 2014, p. 545.

[33] CJUE 26 février 2013, Akerberg Fransson, C-617/10, § 22.

[34]Sous réserve de l’exception mentionnée ci-dessus (note 23).

[35]V. Skouris, « Développements récents de la protection des droits fondamentaux dans l’Union européenne : les arrêts Melloni et Akerberg Fransson », Dir. Un. Eur., fasc. 2, 2013, p. 229.

[36] CJUE 26 février 2013, Stefano Melloni, C-399/11, § 55-64.

[37]En France, l’article 88-2 de la Constitution dispose : « La loi fixe les règles relatives au mandat d’arrêt européen en application des actes pris par les institutions de l’Union européenne. » Par sa décision n°2013-314 P, QPC, du 4 avril 2013, Jeremy F., le Conseil constitutionnel a posé, pour la première fois, une question préjudicielle à la Cour de justice afin de déterminer si les articles 27 et 28 de la décision-cadre n° 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que les États membres prévoient un recours suspendant l’exécution de la décision de l’autorité judiciaire qui statue, dans un délai de trente jours à compter de la réception de la demande, soit afin de donner son consentement pour qu’une personne soit poursuivie, condamnée ou détenue en vue de l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté, pour une infraction commise avant sa remise en exécution d’un mandat d’arrêt européen, autre que celle qui a motivé sa remise, soit pour la remise d’une personne à un État membre autre que l’État membre d’exécution, en vertu d’un mandat d’arrêt européen émis pour une infraction commise avant sa remise. Par un arrêt du 30 mai 2013, Jeremy F., C-168/13 PPU, la Cour de justice a jugé que cette décision-cadre ne s’oppose pas à ce que les États membres prévoient un recours suspendant l’exécution de la décision de l’autorité judiciaire qui statue, dans un délai de trente jours à compter de la réception de la demande, afin de donner son consentement soit pour l’extension des effets du mandat à d’autres infractions, soit pour l’autorisation de la remise de la personne à un État tiers. La Cour a seulement jugé que la décision définitive doit être adoptée dans les délais visés à l’article 17 de la décision-cadre, c’est-à-dire au plus tard dans les 90 jours. Par sa décision n°2013-314, QPC, du 14 juin 2013, Jeremy F., le Conseil constitutionnel a pu en déduire qu’en prévoyant que la décision de la chambre de l’instruction est rendue « sans recours », le quatrième alinéa de l’article 695-46 du CPP ne découle pas nécessairement des actes pris par les institutions de l’Union européenne relatifs au mandat d’arrêt européen, et que, par suite, il lui appartenait, saisi sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution, de contrôler la conformité de cette disposition aux droits et libertés que la Constitution garantit.